Le piège de la productivité toxique

Alexandra Verreault
Rédigé par Alexandra Verreault /

100%, c’est plutôt beaucoup, non?

Et pourtant, dire qu’on donnera son 100% dans l’accomplissement d’une tâche, ça semble insuffisant. Non, il faut plutôt donner son 110%!

Dans une société qui valorise la productivité, il est facile d’internaliser l’idée que notre valeur personnelle est directement liée à notre capacité de fournir des efforts, de réussir, d’exceller. Être productif, de toute façon, c’est positif, non?

Sauf que trop d’une bonne chose, ça devient souvent mauvais. C’est là que la productivité toxique risque de s’installer.

Cet article vous invite à explorer ce mal moderne en s’attardant à :

Qu’est-ce que la productivité toxique?

La productivité toxique peut se décrire comme un besoin irrésistible et constant de se sentir productif en tout temps, et ce, d’une manière qui affecte négativement la santé mentale, la santé physique ou les relations interpersonnelles.

La productivité saine, quant à elle, se définit par une capacité d’être efficace pendant des périodes données, tout en étant capable de profiter pleinement des périodes de repos. Elle implique un équilibre entre les différentes sphères de vie, mais aussi une approche face à la vie qui n’est pas teintée par le principe selon lequel “tout temps improductif est perdu”.

Quelles sont les causes de la productivité toxique?

Cette obsession malsaine pour la productivité peut provenir de plusieurs facteurs culturels, personnels ou professionnels, y compris :

La pression sociale et culturelle

La société d’aujourd’hui valorise la productivité. Il est bien vu d’accomplir beaucoup, que ce soit au travail, dans la vie de famille ou dans les activités personnelles. Ce phénomène est amplifié par les réseaux sociaux, où les réussites professionnelles et personnelles sont fréquemment mises en avant. Cela crée une compétition implicite et contribue à la pression sociale, ce qui peut inciter certaines personnes à sentir qu’elles doivent toujours faire plus pour correspondre aux attentes et prouver leur valeur.

Les exigences trop élevées envers soi

Bien des personnes ont envers elles-mêmes des attentes très exigeantes, voire même impossibles à satisfaire. Ces attentes peuvent provenir de différentes sources, comme une éducation exigeante ou une tendance perfectionniste innée. Dans bien des cas, les personnes qui ont des attentes très exigeantes envers elles-mêmes se sentent insuffisantes, ce qui les pousse à en faire toujours plus pour chercher à atteindre ces standards impossibles.

La technologie et la connectivité permanente

Depuis l'avènement des téléphones intelligents et des ordinateurs portables, nous sommes plus connectés que jamais. Les frontières entre le travail et la vie personnelle se brouillent et il est plus difficile de réellement décrocher. Les notifications constantes, les courriels professionnels en dehors des heures de bureau et l'accès facile aux plateformes de travail contribuent à une culture où il est souvent attendu d'être disponible en tout temps et, par conséquent, de ne jamais s’arrêter.

Les environnements de travail compétitifs

Dans certains environnements de travail, la compétition est encouragée et les longues heures de travail sont valorisées. Des entreprises installent une culture où les employés se sentent obligés de travailler plus pour être reconnus et récompensés. Les politiques de performance axées sur des objectifs ambitieux et des évaluations strictes peuvent également accentuer cette pression. Cela peut mener certaines personnes à sacrifier leur bien-être personnel pour atteindre des résultats professionnels, ce qui alimente la productivité toxique.

La peur et les insécurités

La peur de l'échec, de ne pas être à la hauteur ou de perdre son emploi, peut aussi pousser certaines personnes à travailler excessivement pour prouver leur valeur et sécuriser leur poste. Les efforts excessifs sont alors fournis au détriment des besoins fondamentaux et les effets délétères de la productivité toxique s’installent.

7 signes qui indiquent que vous souffrez de productivité toxique

Comment savoir si vos habitudes de performance sont toxiques ou non? Car il faut bien le dire, la productivité est, en soi, quelque chose de souhaitable! Tous les humains doivent être en mesure de se mobiliser vers l’atteinte de leurs objectifs et un certain niveau de performance peut permettre d’améliorer l’estime de soi, de mieux répondre à ses besoins, et de se réaliser en tant que personne.

La limite entre la productivité saine et toxique en devient difficile à identifier. Si vous vous reconnaissez dans l’un ou plusieurs de ces signes, cependant, votre manière d’être productif est peut-être toxique.

  1. Vous vous sentez coupable pendant vos temps libres parce que vous n’êtes pas en train d’être productif. Vos pensées sont tournées vers toutes les tâches que vous pourriez accomplir à la place et vous vous sentez mal de ne pas être en train de faire quelque chose. En effet, pour vous, se détendre, ça ne compte pas comme “faire quelque chose”.
  2. Vous transformez toutes vos expériences en quelque chose de productif. Puisqu’il faut bien se détendre dans la vie, vous continuez de pratiquer certaines activités reposantes. Cependant, vous avez tendance à vouloir les rendre productives; vous comptez vos pas en allant marcher, vous lisez des livres dont l’intention est de vous apprendre quelque chose, vous choisissez des jeux vidéos ou des sports compétitifs, etc.
  3. Vous vous demandez souvent “à quoi ça sert de faire ça?”. Lorsque l’objectif d’une activité n’est pas clair, vous remettez en question son utilité et vous vous sentez parfois même agacé. Dans les activités non axées sur la productivité, vous avez l’impression de perdre votre temps.
  4. Quand quelqu’un partage l’atteinte d’un objectif, vous ressentez des émotions négatives. Certes, vous vous réjouissez pour autrui, mais il vous arrive de vous comparer et de vous sentir inférieurs ou insuffisants. Cela engendre parfois le sentiment de devoir en faire davantage, pour pouvoir vous aussi prouver votre valeur.
  5. Vous vous sentez souvent comme si vous n’en faisiez pas assez. Vous accomplissez probablement plus de choses que la majorité des gens, mais vous ne vous en rendez pas compte. Selon vous, les autres en font tous largement davantage que vous.
  6. Vous vous sentez rarement fier de vos réussites. Elles deviennent peu à peu un simple élément à cocher sur votre liste et ne vous apportent plus la satisfaction d’autrefois. Après tout, quel est l’intérêt d’une ligne d’arrivée si le but est de se sentir constamment productif? Un marathonien qui ne veut pas s’arrêter de courir ne se réjouira pas de compléter sa course…
  7. Vos proches vous transmettent des signaux d’alerte. Ils s’inquiètent pour vous, vous font savoir que vous leur manquez, que vous ne semblez pas dans votre état normal, etc.

Si vous vous reconnaissez dans l’un ou plusieurs de ces signes, vous avez probablement tendance à négliger vos besoins essentiels tels que votre sommeil ou votre alimentation. Vous êtes également à risque de vivre du stress, d’avoir du mal à vous détendre pleinement et de finir par vous épuiser.

Comment éviter de glisser vers la productivité toxique

Les causes de la productivité toxique proviennent principalement de l’environnement et d’attentes irréalistes ou trop exigeantes envers soi. Pour éviter de glisser vers cette performance malsaine, il est donc logique qu’il faille se centrer davantage sur soi et son monde interne plutôt que sur les attentes extérieures, et se traiter avec davantage d’indulgence, de façon à diminuer les exigences.

Voici trois conseils à mettre en pratique.

Savoir s’arrêter

Personne n’enverrait une voiture de Formule 1 sur la piste sans s’assurer qu’elle est en bonne condition, et tout le monde accepte qu’à plusieurs moments dans la course, des arrêts auront lieu pour entretenir le véhicule. Bref, s’arrêter et s’entretenir, c’est primordial pour performer.

Pour prendre soin de votre véhicule et pour pouvoir être productif sans que cela devienne préjudiciable pour vous ou vos proches, vous devrez aussi savoir vous arrêter, être à l’écoute de vos besoins et accepter de les satisfaire.

S’arrêter, c’est faire le choix conscient, pendant une période déterminée, de ne pas être en train d’accomplir une tâche. Cette période constitue un rendez-vous avec vous-même, pendant lequel vous pouvez être à l’écoute de vos besoins.

Prenez l’habitude de vous arrêter tous les jours, que ce soit avant de vous endormir, au moment d’une pause dans la journée, ou pendant un que vous faites une activité de détente.

Être à l’écoute de soi

Pour pratiquer votre capacité d’écoute de soi, demandez-vous aussi souvent que possible: «de quoi aurais-je besoin en ce moment?» et laissez émerger la réponse. Portez attention à vos signaux physiques et émotionnels lorsque vous vous posez la question. Quel est votre niveau de fatigue, de faim, de douleur ou de tensions physiques? Quels sentiments ressentez-vous? Quel est l’état de vos besoins relationnels?

Ensuite, cherchez des manières de satisfaire votre besoin, au moins partiellement. Impossible de dormir 3 jours en ligne? Bon. Peut-être qu’une sieste de 20 minutes est un bon début. Impossible de prendre 2 semaines de vacances dans l’immédiat? Un dimanche sans faire de plans peut aider!

Être indulgent envers soi

Force est d’admettre que pour bon nombre de personnes, être doux envers soi n’est pas naturel. En plus, l’indulgence, la bienveillance et la compassion pour soi-même sont souvent mal perçues.

Un peu comme si elles servaient d’excuses derrière lesquelles on pouvait cacher la paresse. Comme si prendre davantage de temps pour accomplir une tâche, prendre congé quand on se sent fatigué ou dire non équivalait à se la couler douce ou à baisser les bras devant les défis qui permettent de grandir.

Il est vrai que le regard critique sur soi-même peut être un excellent motivateur pour le dépassement de soi. Il est aussi vrai qu’il faut savoir sortir de sa zone de confort pour avancer, et parfois se pousser au-delà de nos limites pour s’améliorer. Toutefois, sachez-le : on peut être à la fois critique et indulgent envers soi-même.

Parce que se traiter avec indulgence ne signifie pas se voiler la face sur ses défauts ou ses erreurs, ni se maintenir dans le confort. Ça signifie simplement qu’on n’oublie pas de bien se traiter pendant que l’on continue d’avancer et de se dépasser.

Pour en savoir plus sur comment vous y prendre pour être plus indulgent envers vous, consultez cet article sur l’autocompassion!

Conclusion

La productivité toxique est un phénomène réel et préoccupant qui peut compromettre le bien-être mental, physique et relationnel. Face à une société qui glorifie l'hyperactivité et la réussite visible, il est nécessaire de redéfinir la notion de succès et d’apprendre à se valoriser autrement.

Demeurez attentifs aux signes de la productivité toxique et prenez conscience des impacts délétères qu'une quête incessante de performance peut engendrer sur votre qualité de vie. Prenez le temps de vous arrêter, d'écouter vos besoins et d'être indulgents envers vous-mêmes. Visez l’équilibre entre les moments d’efforts et les moments de repos pour maintenir une productivité saine et durable. Après tout, c’est en traitant votre corps et votre esprit avec soin et respect que vous pourrez non seulement atteindre vos objectifs, mais aussi jouir pleinement du chemin parcouru.

Si vous sentez que la productivité toxique affecte votre santé mentale et si vous avez besoin d’aide pour vous en sortir, des ressources comme Jade et les répertoires d’ordres et associations professionnels peuvent vous aider à trouver le bon professionnel pour vous.

À propos de l’auteur

Alexandra Verreault
Alexandra Verreault
Psychologue, D. Ps.

Psychologue clinicienne depuis 2018, Alexandra pratique la psychothérapie auprès d’une clientèle adulte. Elle se spécialise dans les problématiques relationnelles et les transitions de vie. Son approche empathique et bienveillante vise à rétablir l’équilibre et la souplesse dans le fonctionnement de ses clients, en plus de les aider à découvrir des moyens mieux adaptés pour surmonter leurs difficultés et répondre à leurs besoins.

En parallèle de sa pratique clinique, Alexandra occupe le poste de Responsable de produit et de contenu clinique chez Optania. Dans ce rôle, elle met son expertise au service du développement d’outils pour une application visant à soutenir les étudiants collégiaux. Sa créativité et son engagement envers le bien-être des étudiants font d’elle une actrice incontournable dans ce domaine.

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